Pour en finir
avec la monarchie
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 Ne tournons pas autour du trône : la monarchie est à mes yeux une insulte permanente au progrès, à la raison et à la démocratie. Qu'il puisse donc y avoir, à l'aube du XXIème siècle, des gens estimables pour encore en défendre le principe demeure pour moi une des grandes énigmes de l'Univers   comme l'identité du Masque de Fer, le fonctionnement du robinet des douches dans les chaînes hôtelières françaises ou la vie sexuelle du Taenia Saginata (plus trivialement appelé ver solitaire par ses hôtes et ses intimes   qui sont hélas souvent les mêmes).
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 On peut rêver   j'y rêve chaque jour   d'une société où chacun, en conscience et en droit, se sentirait à la fois membre actif d'une Cité et libre citoyen de la planète   sans avoir besoin pour cela de drapeaux, de frontières et d'hommes respectables incarnant la nation. Mais comme pour la majorité d'entre nous et pour quelques siècles encore je le crains, ces archaïques symboles seront encore parfois utiles pour nous forger un semblant d'identité, ne sommes nous pas au moins en droit de choisir ceux qui nous rassemblent ?
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 Comment, mais comment pourrait on admettre que le porte parole d'un État démocratique et moderne soit encore aujourd'hui désigné, non en vertu de ses supposées qualités, mais en fonction de son seul pedigree ? De quoi parle-t on ici ? D'un cheval de course, d'un bœuf charolais ou d'un chef d'État ?
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 L'argument le plus curieux que j'aie entendu à ce propos avait la naïveté et la force de l'évidence : la majorité des démocraties ne sont elles pas des monarchies parlementaires ? Bon sang, c'est bien sûr ! Mais entre la monarchie et la démocratie, quel est le lien de cause à effet ? Tous les États modernes ont préalablement été des royaumes ou des empires et la majorité d'entre eux ont gardé des traces institutionnelles de ce passé. Et alors ? Cela n'a empêché ni l'Italie et l'Espagne de devenir fascistes, ni la République française d'être une démocratie. On pourrait tout aussi bien trouver une corrélation entre la consommation de beurre par tête d'habitant et la carte des démocraties parlementaires. En déduirait on pour autant qu'il faut manger du beurre pour vivre en démocratie ?
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 Un peu désarçonné par cette irruption des quotas laitiers au beau milieu de ma démonstration, mon contradicteur (car en abordant un tel thème en Belgique, vous imaginez bien que j'ai toujours un contradicteur !) change alors d'angle d'attaque.
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 Le Sujet de base entretient en effet avec Son Roi un curieux rapport où le respect se mêle à l'affection. Rapport au père, diraient les psys   qui savent que ce n'est pas sans raison que les chefs d'État sont souvent appelés "pères de la nation". C'est donc la royale personne, et non plus sa fonction, qu'on va dès lors affectueusement me brandir sous le nez : "Enfin quoi ! Notre roi n'est-il pas gentil, démocrate et compé- tent ?". Ça se discute. Mais cette discussion-là, je ne veux même pas y entrer. Car je me fous complètement, moi, de savoir si le roi est "gentil, démocrate et compétent". On en a connu dans l'Histoire des gentils et des méchants, des démocrates et des tyranniques, des ascètes et des coureurs de jupons, des bigots et des francs maçons, des génies inspirés et des crétins du Danube. D'admirables rois résistants qui se faisaient coudre une étoile jaune sur la poitrine, et de moins admirables rois collabos qui préféraient pactiser avec les nazis. Et alors ? Le problème n'est pas qu'il y ait de "bons" et de "mauvais" rois. Le problème est qu'il y ait des rois   et que, "bons" ou "mauvais", les peuples sont censés accepter celui qu'on leur donne !
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 "Ce n'est pas si simple", rétorque mon interlocuteur, en qui je découvre avec surprise un lecteur assidu de Point de Vue/ Images du Monde. "Si le Prince Philippe en Belgique, si le Prince Charles en Angleterre n'avaient pas le profil, la vocation ou les compétences pour exercer charge, ils pourraient toujours abdiquer au bénéfice de leur fils ou de leur sœur".
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 Ah ! bon ? On choisit quand même, alors ? Et qui en décide ? Et on choisit entre qui et qui ? Entre "princes de sang", nés du même lit à baldaquin ? Il y aurait donc une race élue, seule apte à exercer le pouvoir ? De l'ADN à l'ABL (Armée Belge/Belgische Leeg, nos bilingues forces armées, dont le Roi est constitutionnellement encore le chef), le génie par les gènes ? Mais c'est du racisme, ça, mes petits lapins. Et encore : du racisme pur et dur ! N'ai je pas lu dans la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, dont la Bel-gique est si je ne m'abuse signataire, que les Hommes naissaient libres et égaux en droits ?
Claude Semal
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Pour en finir avec... La Belgique de Merckx à Marx, Claude Semal, le livre aux Éditions Luc Pire, Bruxelles 1997. Et aussi... le CD Semal en fanfare chez Sowarex, Bruxelles.